La Turquie attendait avec anxiété lundi le résultat d’élections municipales à Istanbul où une défaite serait dévastatrice pour le président Recep Tayyip Erdogan, qui a déjà essuyé à Ankara un revers inédit en 16 ans de pouvoir, selon les résultats partiels.
La bataille se jouera à quelques milliers de voix entre les deux principaux candidats qui ont chacun revendiqué la victoire à l’issue de ce scrutin local qui s’est tenu dimanche et avait valeur de plébiscite pour M. Erdogan en pleine tempête économique.
Sous la menace d’un vote sanction lors de cette élection qu’il a présentée comme vitale pour la « survie de la nation », M. Erdogan a pesé de tout son poids dans la campagne, tenant plus de 100 meetings en moins de deux mois.
Mais à Istanbul, coeur économique et démographique du pays dont M. Erdogan a lui-même été maire, le parti islamo-conservateur AKP était en grande difficulté face au bloc de l’opposition constitué du CHP (social-démocrate) et de l’Iyi (droite), soutenu par les prokurdes du HDP.
L’ex-Premier ministre Binali Yildirim, candidat de l’AKP à Istanbul, a revendiqué la victoire dimanche soir, avant d’être imité quelques heures plus tard par le candidat de l’opposition, Ekrem Imamoglu.
Les derniers résultats partiels publiés par l’agence de presse étatique Anadolu, qui a subitement arrêté de les actualiser dimanche soir, donnaient une courte avance de 4.000 voix à M. Yildirim après le dépouillement de 98% des urnes.
Quelle que soit l’issue de la bataille d’Istanbul, M. Erdogan a déjà essuyé un revers cinglant avec la perte de la capitale Ankara, que l’AKP et ses prédécesseurs islamistes contrôlaient depuis 25 ans.
Selon Anadolu, le candidat de l’opposition Mansur Yavas y a battu le candidat de l’AKP Mehmet Ozhaseki, avec 50,9% des voix contre 47% après dépouillement de 99% des urnes.
Signe toutefois qu’il ne laissera pas lui échapper les deux principales villes du pays sans coup férir, l’AKP a annoncé dans la nuit de dimanche à lundi qu’il déposerait des recours pour réexaminer la validité de dizaines de milliers de bulletins considérés comme nuls.
– « Faiblesses » –
« Nous allons utiliser jusqu’au bout les recours juridiques à notre disposition, nous ne laisserons pas la volonté des habitants d’Ankara être dénaturée », a déclaré le secrétaire général de l’AKP Fatih Sahin.
Selon Anadolu, 290.000 votes ont été comptés comme nuls à Istanbul et 90.000 à Ankara.
L’opposition, qui redoute des fraudes, a de son côté exhorté ses observateurs à « ne pas dormir lors des prochaines 48 heures » pour surveiller les bureaux de dépouillement des urnes.
S’exprimant dimanche soir au siège de son parti à Ankara, M. Erdogan s’est efforcé de voir le bon côté des résultats, soulignant qu’avec plus de 51% des voix, la coalition formée par l’AKP et les ultranationalistes du MHP était arrivée en tête à l’échelle nationale.
Mais alors que sa coalition a perdu des grandes villes comme Antalya et Adana (sud), en plus d’Ankara, le chef de l’Etat a reconnu qu’il allait devoir « corriger des faiblesses ».
Les résultats obtenus par l’opposition à Ankara et Istanbul sont d’autant plus remarquables que l’AKP a bénéficié d’une visibilité écrasante dans les médias, pour la plupart contrôlés par le pouvoir.
Pour nombre d’électeurs rencontrés par l’AFP dans les bureaux de vote à Istanbul et Ankara, le sujet numéro un de ces élections était l’économie.
Alors que l’AKP s’est appuyé sur une forte croissance pour engranger les victoires électorales depuis 2002, il a dû, cette fois-ci, composer avec la première récession en 10 ans, une inflation record et un chômage en hausse.
« Erdogan a pris un risque en transformant ce scrutin en une élection nationale (…) Cette défaite va être considérée comme la sienne », estime Berk Esen, professeur associé à l’université Bilkent, à Ankara.
Ce scrutin boucle un cycle électoral de huit scrutins depuis 2014 qui a polarisé le pays.
Rappelant qu’aucune élection n’était prévue avant 2023, M. Erdogan a affirmé dimanche qu’il allait s’atteler aux « réformes économiques ».
Source AFP