Les Algériens ont à nouveau défilé en masse vendredi, jugeant insuffisante la proposition du chef d’état-major d’écarter le président Abdelaziz Bouteflika, dernière tentative en date du régime de calmer plus d’un mois de contestation en Algérie.
A Alger, une foule immense, scandant notamment « le peuple veut que vous partiez tous! », a saturé les rues du centre-ville sur plusieurs kilomètres, en ce premier jour de week-end, devenu jour de manifestations massives depuis le 22 février.
Pour ce sixième vendredi consécutif, les Algériens – hommes et femmes de tous âges – ont également manifesté très nombreux, parfois en famille, dans le reste du pays, selon les images diffusées à la télévision nationale et sur les réseaux sociaux.
Aucun chiffre officiel n’est disponible mais des sources sécuritaires ont fait état de « centaines de milliers de manifestants » à Alger et recensé des marches d’ampleurs diverses dans 44 des 48 wilayas (préfectures) du pays.
La mobilisation a été sensiblement similaire à celles des trois semaines précédentes, jugées exceptionnelles par les analystes et les observateurs.
Les cortèges se sont dispersés, sans incident signalé, en fin d’après-midi.
Mardi, le général Gaïd Salah, personnage-clé du pouvoir, a proposé la mise en oeuvre de mécanismes constitutionnels pour écarter le chef de l’Etat, dont il est un fidèle indéfectible depuis que l’intéressé l’a nommé en 2004 chef d’état-major de l’armée.
Il a entraîné dans son sillage nombre de figures du camp présidentiel.
Mais le général Gaïd Salah est lui-même devenu vendredi la cible directe des manifestants qui, interrogés par l’AFP, disent souhaiter le départ de l’ensemble du régime et pas seulement celui du chef de l’Etat.
« Gaïd Salah, complice du système », indiquait une affiche. « Bouteflika tu partiras, emmène Gaïd Salah avec toi! », ont également scandaient les manifestants à Alger, ou « FLN dégage », en référence au Front de libération nationale, formation du président Bouteflika et ancien parti unique qui domine la vie politique depuis l’indépendance de l’Algérie en 1962.
Le président du Conseil de la Nation (chambre haute du Parlement), Abdelkader Bensalaha, appelé à assurer l’intérim si M. Bouteflika quitte le pouvoir, est lui aussi devenu une tête de turc des manifestants, dont certains brandissaient son portrait souligné de l’injonction « Dégage! ».
Amine, 45 ans, a pris la route aux aurores depuis Béjaïa (180 km à l’est d’Alger) pour manifester dans la capitale. « Nous sommes là pour lancer un dernier appel à ce pouvoir: Prenez vos bagages et partez! », dit-il.
Les dirigeants algériens « nous prennent pour des cons », estime de son côté Samir, vétérinaire de 40 ans. « Après chaque manifestation, on nous sort un nouveau truc pour essayer de nous calmer. Mais nous on veut qu’ils partent tous, il n’y a que ça pour nous calmer. »
Le cortège, où dominaient comme chaque vendredi les couleurs du drapeau national –vert et blanc, frappé de l’étoile et du croissant rouges–, chantait en choeur l’hymne national, mais aussi le refrain de « La liberté », chanson du rappeur algérien Soolking, dédiée au mouvement populaire.
– Lâché –
A la tête de l’Etat algérien depuis 20 ans, le record de longévité depuis l’indépendance, le président de 82 ans, affaibli depuis 2013 par les séquelles d’un AVC, apparaît vendredi très isolé. La majorité de ses plus zélés partisans ont rallié la proposition de l’armée.
Durant la semaine, Ahmed Ouyahia –encore Premier ministre il y a moins d’un mois– et son Rassemblement national démocratique (RND), pilier de la majorité présidentielle au côté du FLN, ont lâché sans scrupule M. Bouteflika, suivis d’Abdelmadjid Sidi Saïd, secrétaire général de la principale centrale syndicale, l’UGTA, forte de millions d’adhérents.
Sans rompre publiquement son allégeance, le patron des patrons algériens, Ali Haddad, proche du chef de l’Etat, a démissionné de la présidence du Forum des chefs d’entreprises (FCE), principale organisation patronale devenue au fil des ans un instrument de soutien politique au chef de l’Etat.
Aux côtés du FLN, le RND, l’UGTA et le FCE avaient bruyamment fait campagne durant des mois pour que le chef de l’Etat brigue un 5e mandat à la présidentielle initialement prévue le 18 avril, une candidature qui a poussé des millions d’Algériens à sortir dans la rue.
Seul le FLN n’a pas encore déserté, mais les dissidences s’y font de plus en plus entendre, à un mois de l’expiration – le 28 avril – du mandat de M. Bouteflika, alors que la présidentielle a été reportée sine die.
– « Ultime subterfuge » –
Plusieurs soutiens de la contestation, comme l’avocat Mustapha Bouchachi ou la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme (LADDH), s’opposent à la mise en oeuvre, proposée par le général Gaïd Salah, de l’article 102, activé en cas de démission ou de « maladie grave et durable » du chef de l’Etat.
Le processus prévoit des délais trop courts pour garantir une présidentielle libre et transparente, explique notamment la LADDH, qui dénonce un « ultime subterfuge » du pouvoir « pour perpétuer le système décrié et rejeté par le peuple ».
A Alger, un manifestant brandissait une affiche où il était écrit: « 102, ce numéro n’est plus en service, veuillez contacter le peuple », une boutade fidèle à l’humour dont font preuve les manifestants depuis le début de la contestation.
Sur une grande banderole, on pouvait aussi lire: « Nous demandons l’application de l’article 2019. Vous partez tous! »
Source AFP