Les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne ont donné mardi à Bruxelles leur accord à un fonds de relance massif (750 milliards d’euros) pour aider les pays européens les plus touchés par la crise du coronavirus, au matin du cinquième jour d’un sommet marathon qui aura dû multiplier les concessions aux intérêts nationaux.
«Deal!» (« accord »), a tweeté le président du Conseil Charles Michel, vers 5h30 du matin. Les Vingt-sept se sont entendus sur le recours, inédit à cette ampleur dans l’histoire de l’UE, à un emprunt commun que contractera la Commission sur les marchés financiers, pour en redistribuer l’argent sous forme de dons et de prêts aux pays et secteurs les plus touchés par la crise.
Quant au budget de l’UE pour les années 2021-2027, auquel s’adosse le fonds de relance, les dirigeants européens proposent de le fixer à 1.074 milliards d’euros, confirmant ainsi un autre grand chiffre avancé par le président du Conseil Charles Michel dans sa «boîte de négociation» initiale, en retrait toutefois de la proposition de la Commission (1.100 milliards).
« Un signal de confiance »
«On l’a fait! L’Europe est forte, l’Europe est unie», a proclamé le Belge devant la presse, en faisant valoir les plus de 1.800 milliards d’euros ainsi décidés à 27. L’accord intergouvernemental envoie «un signal de confiance au moment où le monde est frappé par une crise sans précédent», a-t-il ajouté.
A ses côtés, la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a souligné que si l’Europe était souvent accusée d’agir de manière trop faible et tardive, ce n’était pas le cas ici. «Nous avons négocié quatre longs jours et nuits, plus de 90 heures, mais ça en valait la peine», a affirmé l’Allemande, parlant d’un moment «historique».
Si le chiffre de 750 milliards pour la relance correspond à la proposition qui avait été formulée par la Commission et soutenue par M. Michel ainsi que par le couple franco-allemand Macron-Merkel, la composition du fonds a dû prendre en compte les réticences des pays dits «frugaux» (Pays-Bas, Autriche, Danemark et Suède, rejoints par la Finlande).
Ces derniers, qui versent au budget de l’UE plus qu’ils ne reçoivent nominalement, préfèrent se qualifier d’économes en raison de leur orthodoxie budgétaire. Ils sont peu enclins à trop délier les cordons de la bourse pour des pays méridionaux comme l’Italie ou l’Espagne qu’ils jugent laxistes sur le budget et les réformes socio-économiques.
Des pourparlers acerbes
Ce groupe emmené par le Néerlandais Mark Rutte et l’Autrichien Sebastian Kurz a ferraillé quatre jours durant contre les autres pays pour finalement obtenir une réduction de la part des dons de 500 milliards à 390 milliards (-22%) et faire passer de 250 à 360 milliards celle des prêts, qu’ils privilégient parce que remboursables.
Les pourparlers ont été souvent acerbes, entre partisans de la «solidarité» (mâtinée d’une bonne dose de réalisme dès lors que l’effondrement d’une grande économie européenne comme celle de l’Italie ou de l’Espagne affecterait l’ensemble du marché intérieur) et défenseurs de la «responsabilité» budgétaire, accusés de radinerie ou d’égoïsme.
En échange de leur accord pour s’endetter à Vingt-sept et faire des dons, les «frugaux» ont obtenu de fortes augmentations des rabais thatchériens dont ils bénéficient sur leurs contributions au budget de l’UE. Ils se sont assuré que l’emprunt serait unique et bien limité, soigneusement conditionné, et ont obtenu de Charles Michel une procédure du type «sonnette d’alarme» pour suspendre les versements si des réformes attendues dans les pays aidés n’étaient pas mises en œuvre. La décision finale reviendrait toutefois à la Commission, empêchant ainsi tout veto d’un pays comme l’avait réclamé Mark Rutte.
La question de l’Etat de droit
La boîte de négociation aura considérablement évolué au cours des quatre jours et quatre nuits de ce sommet, une longueur quasi-record pour un sommet européen, devancé de quelques dizaines de minutes seulement par celui de Nice en 2000.
Les blocages ont aussi touché une autre question sensible: la demande de la Commission de conditionner les versements du budget et du plan de relance au respect de l’Etat de droit. La Pologne et la Hongrie, qui sont sous le coup d’une procédure (article 7) de l’UE en raison de réformes controversées, s’opposaient à toute conditionnalité.
Ce n’est que tard lundi que les Vingt-sept se sont accordés sur un mécanisme, dont les termes apparaissent toutefois plus vagues que ceux de la proposition de la Commission. Il sera en outre soumis à l’adoption du Conseil par majorité qualifiée, une procédure moins difficile à bloquer que celle proposée par l’exécutif.
Cela a permis aux dirigeants polonais et hongrois, Mateusz Morawiecki et Viktor Orban, de prétendre l’avoir emporté dans leur bras de fer. Les médias hongrois proches du gouvernement ont quant à eux salué une «grande victoire».
Le gouvernement allemand a même dû recadrer des rumeurs faisant état d’un accord entre la chancelière Angela Merkel et Viktor Orban pour mettre un terme cette année encore à la procédure article 7 pesant sur la Hongrie. «La Hongrie s’est déclarée prête à prendre toutes les mesures nécessaires dans le cadre de la procédure de l’article 7 afin qu’une décision puisse être prise au Conseil», a déclaré un porte-parole du gouvernement allemand. «La présidence allemande du Conseil a accepté de faire avancer ce processus dans les limites de ses possibilités», a-t-il ajouté. Mais M. Michel et Mme von der Leyen ont réfuté tout manque de clarté et affirmé «l’ambition» de la décision sur l’Etat de droit.
A l’épreuve du Parlement
L’accord budgétaire maintient aussi l’objectif de 30% de dépenses orientées sur l’action climatique. Mais supprime certains instruments nouveaux en matière sanitaire ou de solvabilité pour les entreprises, a regretté Mme von der Leyen.
L’accord du Conseil, qui représente une grande victoire pour le couple franco-allemand ainsi que pour Charles Michel arrivé à la tête de cette institution il y a un peu plus de 7 mois, sera très probablement jugé insuffisant par le Parlement européen sur divers aspects. Les deux institutions doivent en effet s’entendre pour que le plan de relance et le budget pluriannuel entrent en vigueur.
Le précédent budget pluriannuel (2014-2020) avait été négocié sous l’égide d’un autre président belge du Conseil, Herman Van Rompuy. Le Polonais Donald Tusk, qui a dirigé l’institution entre les deux Belges, n’avait pas eu à se prêter à ce délicat exercice.
Source AFP