Boom du tourisme francophone
Sur le marché de Ngoc Ha, dans le sud-ouest d’Hanoi, les fruits et les légumes locaux donnent à la rue une diversité de couleurs et d’odeurs. Ce matin-là, goûtant et humant l’odeur du fruit du Jaquier, des touristes écoutent attentivement les explications de leur guide francophone. « La chaire est douce et très parfumée. Ici, vous avez la fleur du bananier. C’est excellent en salade ou pour les plats végétariens », explique Bao Trâm Nguyen.
Guide touristique francophone depuis plus de 30 ans, Bao Trâm le sait, ses qualités linguistiques lui ont permis de travailler, gagner sa vie, mais surtout faire découvrir son pays. « Ce qui me plaît le plus, au-delà de l’histoire, les bâtiments et les paysages, c’est de partager un peu de ma culture et de mon pays comme moi, je l’aime », confie la guide. Les touristes françaises qui l’accompagnent dans les allées du marché couvert sont conquises par l’immersion locale. « C’est sûr qu’on en apprend plus sur la culture locale. C’est un vrai plus de pouvoir découvrir le Vietnam en français « , nous glisse Léa, 31 ans.
Marion, elle, profite de ces moments : » Découvrir le Vietnam dans sa propre langue, c’est vraiment sympa car il n’y a pas de barrière et on peut vraiment échanger avec notre guide « .
Avec 17 millions de touristes chaque année, le Vietnam est l’une des destinations phares de l’Asie du Sud-Est. 40% de ces vacanciers sont francophones. Les guides touristiques sont une denrée rare. « En cette période de l’année, je pourrais travailler matin, midi, soir, tellement la demande de guide francophone est importante. Les jeunes Vietnamiens préfèrent étudier l’anglais, le chinois ou le japonais car il y a beaucoup d’opportunités de travail. Mais en tourisme, le français est incontournable et j’encourage les jeunes à apprendre cette langue« , conclut Bao Trâm Nguyen.
Accent belge à l’université d’Hanoï
Chaque année, seuls 600 étudiants se lancent dans l’apprentissage du français à l’université d’Hanoï. « J’aime la communication et le français est une nouvelle langue pour moi parce que j’aime relever les défis », nous indique Hoang Vu, étudiant en deuxième année.
Pour moi, le plus difficile c’est la grammaire et la compréhension orale
,nous dit Hoa Pham, elle aussi étudiante.
Depuis plus de 30 ans, la Fédération Wallonie-Bruxelles soutient des programmes conjoints entre universités belges et vietnamiennes dans les sections en communication d’entreprise ou le tourisme. Ce soutien s’exprime aussi par l’échange d’étudiants, de chercheurs ou par la formation des professeurs. « J’ai eu l’occasion d’aller étudier en Belgique, à Bruxelles, car je voulais apprendre à apprendre. Aller chercher une autre didactique et revenir ici avec ces nouvelles compétences et connaissances », témoigne Thi Ha Giang Bui, professeure de français à l’Université d’Hanoï avant d’ajouter en riant : « Pour les Vietnamiens, la grammaire française est très compliquée, mais je leur dis souvent que le français, c’est comme une jolie fille très difficile. Il faut pouvoir la comprendre et accepter ses particularités ».
La Fédération Wallonie-Bruxelles contribue donc en partie à maintenir encore un peu plus le français au Vietnam, malgré la fin de quelques financements ces derniers mois. « Nous constatons qu’il y a une prédominance de l’anglais aujourd’hui. Il y a même une ambition du gouvernement vietnamien de l’imposer comme première langue étrangère à l’horizon 2035. Nous, nous estimons qu’une langue, c’est une manière de penser, une autre culture aussi. Le français a donc toute sa place dans un cursus normal pour tous les étudiants. Tant qu’il y aura un seul locuteur francophone, ça vaudra la peine de se battre pour lui », développe Pierre Du Ville, délégué général Wallonie-Bruxelles au Vietnam.
Moins d’1% de Vietnamiens francophones
Sur une population de plus de 100 millions d’habitants, on estime qu’il ne reste que 6 à 700.000 Vietnamiens francophones, soit moins d’1% des Vietnamiens. Une très grande majorité d’entre eux sont très âgés.
Au troisième étage de son immeuble, Ca Son Do se remémore l’histoire de son passé. Dans un français soutenu, le nonagénaire nous raconte ses souvenirs d’une vie passée d’abord à l’armée, ensuite comme professeur de français et de russe, mais aussi comme interprète-traducteur. « J’ai appris le français du temps où le Vietnam était colonisé par la France. Des apprentissages obligatoires et très poussés, c’est ce qui explique qu’aujourd’hui, malgré le fait que je ne le pratique pas au quotidien, j’ai encore de bons restes », explique-t-il d’une voix franche.
Ma génération est en voie de disparition
Ca Son Do le sait, des Vietnamiens francophones comme lui, il n’en reste plus beaucoup. « Nous sommes en voie de disparition. Je suis certainement la dernière génération vietnamienne à avoir ce niveau d’instruction solide du français. Maintenant, c’est l’anglais ou le chinois que les jeunes choisissent et plus le français. C’est dommage ! Pour moi, le français est une très belle langue, très fine et je veux transmettre aux plus jeunes l’envie d’apprendre le français », soupire-t-il.
Le nombre de francophones vietnamiens risque encore de décliner ces prochaines années, mais le français restera toujours présent, au Vietnam tant sur le plan économique et touristique que diplomatique.