Le Collège du ministère public estime que ces réformes constituent une rupture de confiance envers les magistrats, qu’ils soient actuellement en service ou déjà pensionnés. Pour le Collège, ces changements risquent de décourager les juristes expérimentés et les avocats spécialisés d’intégrer la magistrature, alors qu’il y a déjà trop peu de magistrats et de collaborateurs. « On risque d’avoir soit des magistrats très jeunes, soit des magistrats qui prolongent et qui ne partent pas à la pension et qui prolongent pour avoir un salaire plus important. Et donc on risque d’avoir un déficit d’attractivité énorme et surtout on risque de ne pas attirer les profils dont on a besoin« , souligne Frédéric Van Leeuw, procureur général de Bruxelles. « On avait déjà touché aux pensions des magistrats en 2011 en modifiant ce qui s’appelle les tantièmes. C’était les 30e, donc il fallait une carrière qui n’était pas très longue ou pas extrêmement longue pour arriver à pouvoir avoir une pension complète de magistrat. On a touché à ça et on est passé en 45ᵉ et maintenant on veut nous faire passer en 60ᵉ« , explique Frédéric Van Leeuw. Bref, il faudra une carrière beaucoup plus longue pour avoir une pension complète. « Ça ne va plus jamais attirer quelqu’un qui, à certains moments, veut faire un changement de carrière, etc. et qui veut devenir magistrat. C’est une énorme perte au niveau d’expertise. On a besoin de gens qui ont déjà une carrière de 10 à 15 ans d’avocat« , souligne Frédéric Van Leeuw.
Un autre problème est que les efforts qu’imposeront ces réformes en matière de pension s’ajoutent aux difficultés auxquelles sont déjà confrontés les magistrats et le personnel judiciaire. « Nous demandons qu’on remplisse les cadres depuis des années. Ils ne sont pas remplis. Nous demandons du renfort par rapport à une augmentation gigantesque du nombre de dossiers. On parle de plus de 50%, parfois du double de dossiers à Bruxelles, etc. Et la réponse qu’on nous donne, c’est on va raboter vos pensions et il n’y aura pas de renforts« , réagit Frédéric Van Leeuw. C’est aussi sans compter l’état, souvent mauvais, des palais de justice et les lacunes en matière d’informatisation de la Justice.
« On est touché par toutes les mesures en fait. Et donc là, je pense qu’à un certain moment, on dit stop. On est parfaitement conscient qu’il faut faire des efforts au niveau des pensions, on est prêts à le faire, mais moyennant concertation. Et ici il n’y a eu aucune concertation« , explique le procureur général de Bruxelles.
Selon le Collège du ministère public, les réformes voulues par l’Arizona ne tiennent pas compte du caractère spécifique du métier de magistrat. Les magistrats rappellent que le pouvoir judiciaire auxquels ils appartiennent forme, avec les pouvoirs législatif et exécutif, l’un des trois pouvoirs de l’Etat, dont l’indépendance et l’autonomie sont garanties par la Constitution. Pour plusieurs raisons, il est important, selon les magistrats, de ne pas modifier unilatéralement les conditions financières du fonctionnement de la magistrature. C’est, selon le Collège du ministère public, une question d’indépendance. Dans cette optique, « la rémunération des magistrats doit être en adéquation avec leur rôle« , souligne le Collège et ce, d’autant plus que les magistrats n’ont pas accès à une série d’avantages salariaux (primes, voitures de société, carte de carburant, deuxième pilier de pension), « contrairement aux cadres exerçant des fonctions juridiques similaires dans le secteur privé« . Les magistrats doivent aussi être disponibles « 24/7 », note le Collège. Certains prestent des gardes de jour, de nuit, de week-end dont « une grande partie […] ne sont pas rémunérées« .
Bref, ces réformes auront des conséquences, selon le Collège du ministère public. « On aura la Justice qu’on mérite plus tard« , note Frédéric Van Leeuw.