Alors qu’Emmanuel Macron s’apprête à atterrir au Caire pour un sommet trilatéral urgence Gaza, une autre crise couve dans l’ombre : les chars égyptiens et israéliens se font face dans le Sinaï, pour la première fois depuis 1973. Un scénario impensable il y a encore un an, mais qui révèle une fracture historique entre les deux « alliés » de Washington. Israël accuse l’Égypte d’avoir déployé des blindés et agrandi des bases aériennes dans le Sinaï, en violation des quotas fixés par les accords de Camp David (1979). Des images satellites montrent l’extension du port militaire d’El-Arish, à 45 km de Gaza. En réponse, Tsahal a pris le contrôle total du corridor de Philadelphie (frontière Gaza-Égypte) en 2023, arguant de la nécessité de couper les tunnels du Hamas. Un mouvement perçu au Caire comme une occupation de facto.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 7 000 soldats égyptiens étaient autorisés dans le Sinaï via le traité de 1979 – ils sont aujourd’hui estimés à 15 000 selon l’OSINT. Parallèlement, 85% des armes du Hamas proviendraient de contrebande via cette zone. Le sommet du 7-8 avril au Caire, présenté comme une initiative humanitaire, cache en réalité trois agendas contradictoires. La France tente de sauver son influence régionale, l’Égypte exige un arrêt des opérations israéliennes à Rafah, et la Jordanie redoute une contagion du conflit à Jérusalem-Est. « Macron joue aux échecs avec des pièces en carton », résume Karim Sader, consultant en géopolitique.
La menace d’un embrasement régional plane. La Turquie d’Erdogan, qui qualifie Israël d’« État terroriste », pourrait déployer ses drones Bayraktar en Méditerranée. En Syrie, les frappes israéliennes sur Damas ont réveillé l’alliance Assad-Iran-Hezbollah, tandis que la Jordanie, secouée par des émeutes pro-palestiniennes, pourrait rompre son traité de paix avec Israël sous pression populaire.
Sur le plan militaire, Israël dispose de 173 000 soldats et de technologies de pointe (F-35, Iron Dome), mais son économie, en récession (-5,2% au Q4 2023), et son armée étirée entre Gaza, le Liban et la Cisjordanie, révèlent des vulnérabilités. L’Égypte, avec ses 440 000 soldats et 1 132 chars Abrams, reste un adversaire redoutable. Une guerre ouverte semble improbable, mais des escarmouves dans le Sinaï pourraient dégénérer, surtout si l’Iran active ses proxies.
Au cœur du problème : Gaza, où 576 000 personnes souffrent de famine aiguë. Le double jeu égyptien est criant : le Caire refuse d’ouvrir sa frontière à Rafah par crainte d’une palestinisation du Sinaï, tout en dénonçant le « génocide » israélien pour apaiser sa population. « Nous préférons voir les Gazaouis mourir de faim plutôt que de laisser le Hamas s’installer en Égypte », lâche une source anonyme du renseignement égyptien.
Le Sinaï, désert de tous les dangers, rappelle une vérité oubliée : la paix israélo-égyptienne n’était qu’une trêve. Et les trêves, par définition, ont une date de péremption. Trois scénarios se dessinent : un retrait négocié sous pression américaine, des frappes aériennes localisées, ou l’apocalypse régionale avec Turquie et Iran dans la danse. Alors que les chars rugissent aux portes de Gaza, le Proche-Orient retient son souffle.