Salaires attractifs, congés abondants, absence de pression : sur les réseaux sociaux, la profession enseignante est souvent perçue comme un véritable paradis. Mais si telle était la réalité, comment expliquer que le métier connaisse une telle pénurie ?
Reste que de ces clichés sur la profession, découlent pas mal de stéréotypes négatifs : les profs seraient fainéants, déconnectés du « vrai » monde du travail, privilégiés…
VEWS a rassemblé six enseignantes et enseignants afin qu’elles et ils puissent répondre aux commentaires haineux sur les réseaux sociaux. Caroline enseigne le français dans le qualifiant à Châtelineau, Jean-Marc est prof d’histoire, Fraya est une jeune institutrice primaire, Rachid enseigne les mathématiques à Evere tandis qu’Hajar et Joséphine donnent cours dans le différencié.
Ensemble, ils et elles déconstruisent les clichés qui leur collent à la peau et nous aident à comprendre pourquoi l’enseignement est un secteur qui peine aujourd’hui à recruter.
Vous n’avez jamais quitté l’école, vous êtes déconnectés !
D’après ce commentaire, les enseignants ont passé leur vie entière à l’école et ne connaissent donc pas la réalité du monde du travail en dehors du système scolaire. Pour Fraya, institutrice primaire, ce n’est pas tout à fait faux. Elle reconnaît ne pas avoir connu d’autres réalités de travail, mais rejette l’idée de déconnexion : « C’est comme si nous étions enfermés entre quatre murs sans accès à l’extérieur. […] Nous avons une vie en dehors de l’école, on a des obligations, une maison, des amis, de la famille. Nous ne sommes pas du tout déconnectés de la réalité. »
Bien au contraire, nous dit Rachid : « On vit avec les nouvelles générations, on n’a pas d’autre choix que d’être connectés aux réalités de notre société. » Joséphine rebondit : « Les enfants viennent ici avec des réalités sociales et culturelles qui ne sont pas les nôtres.«
Elle souligne que « bien au contraire, les enseignants sont en première ligne face aux inégalités sociales. »
Pour Jean-Marc et Rachid, il est important d’être à jour pour mieux accompagner les élèves, tant au niveau de l’actualité que dans l’utilisation des nouvelles technologies.
Qu’ils viennent travailler dans le privé, ils verront ce que c’est la pression et le stress au boulot
Pour Jean-Marc, le stress est permanent, toutes et tous se rejoignent sur ce point et rappellent que, certes, ils ne travaillent pas avec des chiffres mais bien avec des êtres humains. Ils ont en moyenne 25 élèves par classe, avec des niveaux différents et des situations personnelles complexes, parfois très difficiles, qui se répercutent dans les cours. Un défi quotidien pour chacun et chacune d’entre elles.
D’autre part, une étude de la VUB, menée grâce à une application de suivi installée sur les ordinateurs ou smartphones de plus 9000 enseignants flamands, a révélé que les enseignants à temps plein travaillent en moyenne 49 heures par semaine, avec 17 heures hebdomadaires durant les congés scolaires.
Fraya et Hajar, qui sont de jeunes enseignantes, appuient : les week-ends et les vacances, elles ont presque oublié ce que c’est. Pour elles, l’école est omniprésente : « Le soir, avant de se coucher, on pense à un problème d’un élève ou à comment améliorer un cours. Le week-end, on prépare des cours, des sorties pédagogiques, des fêtes de l’école. La pression est là, partout, tout le temps. Surtout quand on est jeune enseignante.«
Moi, je veux bien que ces zozos manifestent, mais franchement, quand on voit le niveau de ce qui sort de leur enseignement, je la fermerais un peu
« Ils ne se rendent pas compte que les enseignants manifestent avant tout pour le bien-être des enfants« , estime Fraya.
« Si on prend un peu de recul« , comme le souligne Joséphine, « il n’y a plus eu de grandes grèves dans l’enseignement depuis les années 90« . Pour elle, ces grèves sont des appels à l’aide et demandent qu’un réel état des lieux soit fait sur ce qui se passe dans les classes et sur ce qui ne fonctionne pas.
Toutes et tous font aussi le même constat : avec des classes surchargées, il est difficile d’offrir du temps aux élèves.
Caroline prend un exemple simple : les professeurs de langues dans le secondaire.
« Imaginons 25 élèves dans la classe pour un cours de 50 minutes où chacun devra essayer un petit peu de parler. Ça fait combien de minutes par élève ? Ça fait 2 minutes ! Il aura le temps d’apprendre la langue en 2 minutes ? !«
Il serait loisible (sic) que les profs, ces feignasses qui font les mêmes cours année après année et passent leur temps en arrêt maladie, en grève ou en réunion pédagogique, montrent plus de respect envers leurs élèves
Pour Fraya, c’est le genre de commentaire qui illustre que « le métier qu’on est en train de faire est complètement dévalorisé. On a donc encore moins de personnes qui viennent travailler dans nos écoles. »
Jean-Marc, quant à lui, pose la question : si les enseignants travaillent tellement peu et si l’enseignement est un tel paradis, pourquoi les jeunes désertent-ils ce métier ? Pourquoi y aurait-il pénurie ?
Car quoi qu’on pense du métier, le constat est là, implacable : le secteur souffre d’une importante pénurie d’enseignants que les acteurs du secteur dénoncent depuis plus de 20 ans et qui ne semble pourtant pas se résorber.
En Fédération Wallonie-Bruxelles, un quart des jeunes enseignants démissionnent après un an d’exercice, et un tiers dans les cinq premières années. Cette situation entraîne un manque de personnel, des classes sans enseignants et des élèves privés de cours pendant plusieurs semaines. Un casse-tête pour les directeurs d’école.
Une situation qui ne devrait pas s’améliorer en 2026 puisqu’en raison de l’allongement de la formation des enseignants de trois à quatre ans, aucun nouveau diplômé ne sortira en 2026. Les derniers enseignants formés en trois ans obtiendront leur diplôme en 2025, tandis que la première promotion issue du nouveau cursus de quatre ans ne sera diplômée qu’en juin 2027.