Si comme annoncé, une majorité est ficelée avec Ecolo-Groen et la liste Bernard Clerfayt (DéFI), Audrey Henry (MR) et Hasan Koyuncu (PS) deviendront officiellement bourgmestres de Schaerbeek. C’est en tout cas le sens de l’accord conclu entre les libéraux et les socialistes. La première, au nom du cartel MR-Les Engagés, occupera la fonction pendant trois ans, le second à partir de janvier 2028 et jusqu’à la fin de la législature. La fin du blocage qui dure depuis les élections communales d’octobre dernier. Mais qui sont ces deux futures personnalités politiques schaerbeekoises de premier plan ? Quel est le parcours de l’une et l’autre ?
Des cabinets au mayorat
Audrey Henry, 42 ans, est une libérale passée par plusieurs cabinets ministériels. La juriste de formation qui a étudié à l’Université catholique de Louvain puis l’ICHEC entre d’abord au SPF Intérieur avant d’entamer son parcours auprès de responsables libéraux : le cabinet de Didier Reynders (Justice) entre 2015 et 2019, celui de Sophie Wilmès (Première ministre) entre 2019 et 2020, pendant la crise Covid, et enfin auprès de David Clarinval (PME et Indépendants) en tant que conseillère juridique puis directrice de la communication.
Audrey Henry va diriger Schaerbeek mais n’est pas une Schaerbeekoise pur jus. Sa terre natale, c’est celle des Loups. La Louvière et l’Institut Saint-Joseph pour ses secondaires avant de basculer en supérieur. À la fin de ses études, elle s’installe en Région bruxelloise et tout récemment à Schaerbeek.
Son destin politique dans cette commune n’était pas si évident que cela. Certes, Audrey Henry a mené deux campagnes avant les communales d’octobre dernier. En 2019, elle se présente aux régionales à Bruxelles à la 53e place et engrange 828 voix. En juin 2024, la libérale, adepte de la course à pied, concourt à nouveau mais cette fois à la Chambre en tant que suppléante (3208 voix).
Lorsqu’approchent les communales, c’est Hadja Lahbib qui est désignée pour mener la liste du cartel MR-Engagés. Mais l’ancienne journaliste se désiste rapidement pour briguer un poste de commissaire à l’Europe. Le tout-puissant président du parti Georges-Louis Bouchez ne va pas propulser au premier plan une des figures politiques locales ou l’un des élus de longue date : Angelina Chan, Sadik Koksal voire Yvan de Beauffort. Pas du tout : il décide de placer Audrey Henry à la première place. « Il me l’a proposé la veille« , nous racontait à l’époque l’intéressée encore surprise par l’immense responsabilité qui lui a été confiée, à savoir se présenter en tant que candidate-bourgmestre capable de faire revenir les libéraux au pouvoir dans cette commune de 130.000 habitants, la septième du royaume.
Le pari est risqué mais le pari est réussi : 2600 voix de préférence, troisième score de la commune (après Hasan Koyuncu et Bernard Clerfayt) et bientôt bourgmestre…
Les thèmes de prédilection d’Audrey Henry sont la justice, la sécurité, l’environnement mais certainement pas l’écologie punitive. Perçue comme pragmatique et plus ouverte sur les questions de diversité, la libérale s’est réjouie de l’élection du président Joe Biden et de sa vice-présidente Kamala Harris aux Etats-Unis en 2020 après le premier mandat de Donald Trump. À l’inverse d’autres au sein de son parti, plus conservateurs, elle assume également souhaiter sur ses réseaux sociaux un bon mois de Ramadan aux citoyens de confession musulmane. « Les accusations de communautarisme envers Hasan Koyuncu, ce n’est jamais elle qui les formulait, mais son président de parti« , rappelle encore un membre du milieu libéral schaerbeekois souhaitant adoucir le personnage.
Un autre reconnaît que sa maîtrise des enjeux locaux reste encore à parfaire mais « c’est quelqu’un qui apprend très très vite« .
Le petit-fils d’immigrés turcs devenu entrepreneur
Hasan Koyuncu est un vrai enfant de Schaerbeek. Il naît le 8 mai 1981 et contrairement à ce que l’on pourrait penser, il ne représente pas la deuxième génération d’immigrés turcs mais déjà la troisième. Des grands-pères arrivés dans les années 60, dont un ayant quitté le petit village de Karacalar, près d’Emirdag (centre de la Turquie), une région d’où sont partis nombre de travailleurs pour rejoindre la Belgique et des conditions de vie meilleures.
La mine à Charleroi pour le grand-père maternel, la livraison de cafés Jacquemotte pour le grand-père paternel. En 1977, le père Koyuncu, scolarisé dans une école schaerbeekoise, ouvre et gère l’un des premiers cafés turcs de Bruxelles pendant que la mère, néerlandophone, travaille en tant que couturière.
Hasan Koyuncu fréquentera une seule et même école à Schaerbeek, en maternelle, primaire et secondaire : l’Institut Sainte-Marie – un établissement catholique comme Audrey Henry –, chaussée de Haecht, au cœur du quartier turc de la commune. Il entame ensuite une licence en sciences commerciales à l’ICHEC – autre point commun avec Audrey Henry – mais préfère, à 22 ans, devenir entrepreneur en lançant sa société de vente de matériaux de construction.
La politique, il y goûte d’abord en 2012, lors des élections communales. Juin 2014, place aux régionales et à une grosse surprise malgré une 36e place. Avec 4407 voix, le candidat sorti de nulle part est élu (réélu en 2019 avec 6368 voix). Grâce à ce score, il talonne des colistiers comme Rudi Vervoort, Fadila Laanan, Rachid Madrane ou encore Charles Picqué.
Dès ce moment, Hasan Koyuncu sera régulièrement comparé à Emir Kir, le bourgmestre de la commune voisine de Saint-Josse : présentation soignée, scores électoraux exceptionnels mais aussi soupçons de négation du génocide arménien et de communautarisme. Hasan Koyuncu qui assume totalement un léger accent balaie les reproches, parle de « turcophobie » même s’il se dit au diapason et à l’écoute de son quartier d’origine dont plusieurs habitants ont manifesté récemment devant l’hôtel communal pour qu’il devienne bourgmestre.
S’il est connu pour allier travail de terrain et implication dans les dossiers régionaux, Hasan Koyuncu traîne une polémique. En février 2024, avec une ASBL Friends of Brussels, il organise une remise de prix au sein du Parlement bruxellois. Assistent des représentants de divers cultes. Un des récipiendaires, un imam d’origine pakistanaise, prendra alors l’initiative de réciter une sourate du Coran à la tribune de l’assemblée. Scandale !
Dans une interview, Hasan Koyuncu qualifiera l’incident d’intolérable, précisant ne jamais avoir donné l’autorisation à cette prise de parole au sein d’un parlement censé rester neutre. C’est pourtant un accroc que rappellera régulièrement le président du MR Georges-Louis Bouchez pour justifier son incompatibilité à occuper le poste de bourgmestre de Schaerbeek, malgré ses 3800 voix en octobre dernier le plaçant en tête du hit-parade de tous les candidats. Les querelles sur ce sujet semblent aujourd’hui oubliées. L’ardoise est effacée.
En 2028, lorsqu’Audrey Henry lui cédera le relais, Hasan Koyuncu deviendra le premier bourgmestre socialiste de l’histoire de Schaerbeek. Il réussit en fait là où Laurette Onkelinx a échoué par deux fois, en 2006 et en 2012. Hasan Koyuncu, secondé par Justine Harzé, l’une des têtes pensantes du projet PS schaerbeekois avec le conseiller communal Abobakre Bouhjar, parvient même à faire de sa formation la première force politique en voix.
Hasan Koyuncu, qui occupera d’abord la présidence du conseil communal avant d’accéder au mayorat, deviendra également le premier bourgmestre d’origine turc de la cité des Anes. Il le répète cependant à l’envi : « Je serai le bourgmestre de tous les Schaerbeekois, sans exception. »