La Turquie plonge dans une tourmente politique sans précédent depuis l’arrestation fracassante d’Ekrem İmamoğlu, maire d’Istanbul et figure incontournable de l’opposition, déclenchant un mouvement de protestation massif à travers le pays. Des dizaines de milliers de manifestants, galvanisés par les partis d’opposition et le Parti républicain du peuple (CHP), exigent désormais la démission du président Recep Tayyip Erdoğan, accusé d’instrumentaliser la justice pour éliminer ses rivaux. Cette crise, sur fond de tensions pré-électorales, expose les fractures profondes d’une démocratie turque sous tension, où chaque arrestation politique relance le spectre d’un autoritarisme décomplexé.
L’arrestation d’İmamoğlu, intervenue le 20 mars 2025 dans des circonstances opaques, a immédiatement été perçue comme une manœuvre destinée à neutraliser un adversaire redoutable. Ce dernier, vainqueur emblématique des municipales d’Istanbul en 2019 face au candidat de l’AKP, était pressenti pour incarner la candidature unique de l’opposition à la présidentielle de 2028. Les charges retenues contre lui – « atteinte à la sécurité de l’État » et « financement illégal de campagne » – ont été dénoncées comme « fabriquées » par le CHP, qui parle d’un « coup d’État civil » visant à asphyxier toute voix dissidente.
La réponse populaire ne s’est pas fait attendre. Dès l’annonce de l’incarcération, des foules compactes ont investi les artères d’Istanbul, Ankara, Izmir et Antalya, brandissant des portraits d’İmamoğlu et scandant « Erdoğan démission ! ». Les appels à la mobilisation lancés par le CHP et ses alliés ont transformé les bureaux du parti en épicentres de résistance, où se mêlent colère et détermination. Les réseaux sociaux, saturés de hashtags #FreeImamoglu et #TurkeyRising, révèlent l’ampleur d’un mécontentement qui transcende les clivages traditionnels, touchant une jeunesse lassée par vingt ans de règne Erdoğan.
L’épouse du maire incarcéré, Dilek İmamoğlu, a porté le combat sur le terrain médiatique, accusant directement Erdoğan de « personnifier la tyrannie ». Dans une déclaration poignante, elle a averti : « Ils croient pouvoir nous réduire au silence en enfermant Ekrem, mais chaque cellule vide devient une voix qui crie la liberté ». Ces mots résonnent comme un symbole de la radicalisation d’une opposition longtemps fragmentée, désormais unie par l’urgence de contrer un pouvoir accusé de confisquer les institutions.
Les observateurs internationaux s’alarment d’une escalade répressive. Le Parlement européen a exigé la « libération immédiate » d’İmamoğlu, tandis que Washington a exprimé de « sérieuses préoccupations ». Pourtant, le gouvernement turc, par la voix de son ministre de l’Intérieur, reste inflexible : « La justice agit en toute indépendance. Personne n’est au-dessus des lois ». Un discours qui peine à masquer l’embrasement d’une rue turque où la défiance envers l’exécutif atteint des sommets.
Historiquement, l’arrestation d’İmamoğlu s’inscrit dans une longue liste de responsables opposants ciblés depuis le putsch manqué de 2016, prétexte à une purge massive. Mais contrairement aux vagues précédentes, celle-ci intervient dans un contexte économique désastreux – inflation à 65%, livre turque en chute libre – qui exacerbe les tensions. Pour beaucoup, Erdoğan, affaibli par des défaites électorales locales et une gestion critiquée de la crise financière, joue sa survie politique en éliminant toute compétition crédible.
Reste que cette stratégie pourrait se retourner contre lui. En criminalisant İmamoğlu, le président turc risque de transformer le maire en martyr, catalysant une opposition jusqu’alors désunie. Les prochains jours seront décisifs : si les manifestations perdurent, voire s’intensifient, le régime pourrait soit durcir la répression – au risque d’un isolement international accru – soit céder à une pression populaire inédite. Dans les deux cas, la Turquie semble à un tournant de son histoire, où l’acharnement contre un homme pourrait bien précipiter la chute d’un système.
Alors que la communauté internationale observe avec inquiétude, une question persiste : cette crise marque-t-elle le début de la fin de l’ère Erdoğan, ou au contraire, l’ultime sursaut d’un pouvoir prêt à tout pour se maintenir ? La réponse se écrira dans les rues de Turquie, où des citoyens, las des promesses non tenues et des libertés bafouées, ont décidé d’écrire eux-mêmes leur destin.