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Lahcen Hammouch : « Baïtas n’est pas le seul : Le clientélisme politique, une pratique systémique à interroger »

En tant que journaliste ayant régulièrement questionné les choix du chef du gouvernement, Aziz Akhannouch – j’ai écrit, entre autres, sur les lenteurs administratives du plan « Awrach », les ambiguïtés de la régularisation des clandestins, ou encore les contradictions dans la gestion de la crise des prix –, je mesure la nécessité de critiquer quand il le faut. Mais cette fois, la focalisation exclusive sur Mustapha Baïtas dans l’affaire des aides de la fondation « Joud » relève, à mes yeux, d’une injustice qui mérite d’être nommée.

La polémique actuelle révèle une réalité connue de tous : le mélange des genres entre action sociale, ressources publiques et stratégies partisanes est une pratique récurrente, transcendant les partis et les régions. En 2016, des élus du PJD (Parti de la Justice et du Développement) avaient été accusés d’utiliser des fonds publics pour distribuer des denrées lors du Ramadan dans des circonscriptions cibles, une pratique qualifiée de « charisme électoral » par la presse. Dans les années 2000, le parti socialiste (USFP) acheminait régulièrement des camions de matériel médical ou scolaire estampillés à son logo, notamment dans les zones rurales. Plus récemment, en 2021, des députés du PAM ont organisé des « caravanes sanitaires » dans leurs fiefs, utilisant des véhicules administratifs. Ces cas, parmi d’autres, montrent que le recours à l’aide sociale comme outil de légitimation politique est une tentation partagée par la plupart des formations.

Pourtant, aujourd’hui, seul Baïtas est montré du doigt. Pourquoi lui ? La réponse est politique : le porte-parole du gouvernement incarne la crédibilité de l’exécutif. Ses erreurs sont donc surexposées, mais cette hypermédiatisation sert davantage les calculs partisans que l’intérêt général. En 2022, un ministre de l’Équipement (Rassemblement Constitutionnel) avait utilisé des engins municipaux pour des travaux privés à Marrakech. Les médias en avaient à peine parlé. En 2023, des élus du PAM ont distribué des aides alimentaires dans le Rif via des camions floqués aux couleurs du parti : aucun tollé. Pourquoi, aujourd’hui, exiger la tête de Baïtas pour des faits similaires ?

Cette asymétrie des réactions interroge. Les partis d’opposition, prompts à dénoncer les dérives du RNI, ont rarement été exemplaires. En 2017, un élu de la gauche (PSU) dans le Sud avait organisé des distributions de farine subventionnée arborant son portrait, sans qu’un débat national n’émerge. En 2020, un élu de l’Istiqlal à Fès avait transformé une mosquée rénovée par l’État en vitrine électorale personnelle. Les mêmes qui réclament aujourd’hui des sanctions avaient alors gardé le silence. Ce deux poids, deux mesures nuit à la crédibilité du paysage politique dans son ensemble.

Mustapha Baïtas, reconnu pour son professionnalisme et son accessibilité médiatique, mérite un traitement équitable. S’il a commis une erreur de jugement – en acceptant une aide dont la livraison a été mal encadrée –, celle-ci doit être contextualisée. Le vrai problème réside dans l’absence de cadre légal clair régissant les actions des fondations politiques et l’usage des ressources locales. Plutôt que de sacrifier un ministre sur l’autel médiatique, l’urgence est de légiférer pour interdire l’usage des biens publics à des fins partisanes, encadrer strictement les activités des associations liées aux partis, et sensibiliser les élus aux conflits d’intérêts.

En tant que journaliste, ma mission est de dénoncer les abus, pas de servir d’amplificateur à des campagnes de déstabilisation. Si Mustapha Baïtas doit assumer ses responsabilités – et il le devrait –, exiger sa démission sans toucher aux racines du clientélisme serait une faute. J’ai souvent reproché à Akhannouch son pragmatisme excessif : voici l’occasion pour lui de prouver que sa « Nouvelle génération politique » n’est pas un slogan, en réformant enfin les règles du jeu.

Cibler Baïtas seul, sans remettre en cause un système qui tolère ces pratiques depuis des décennies, serait contre-productif. Le ministre, comme d’autres avant lui, est pris au piège d’une culture politique où l’aide sociale reste un outil de mobilisation électorale. Plutôt qu’un procès en sorcellerie, le Maroc a besoin d’un débat courageux sur la moralisation de la vie publique. La balle est désormais dans le camp du gouvernement et du Parlement : transformer cette polémique en opportunité pour moderniser les règles du jeu, au lieu de se contenter de chercher des boucs émissaires.

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