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#Investigation sur les ventes d’armes wallonnes : notre enquête en sources ouvertes montre les failles du dispositif

Sur le site de cette entreprise américaine, un nom revient régulièrement dans les communiqués de presse : celui de  » Safran Aero Boosters « , une entreprise basée à Herstal.

Et de fait, sur le site de l’entreprise wallonne, on peut notamment y lire ceci :  » Cette certification marque une fois de plus la bonne collaboration entre General Electric et Safran Aero Boosters, tous les deux partenaires sur les modèles de moteur F110. « 

Nos experts parviennent à reconstituer la chaîne d’approvisionnement de ces fameux moteurs F110 : des pièces destinées aux réacteurs de F-15 quittent Herstal…

et partent pour les États-Unis vers l’entreprise General Electric Aerospace, dont le siège se trouve à Evendale dans l’Ohio, en vue d’équiper les réacteurs des F-15.

En analysant en détail les types de chasseurs-bombardiers et les armées qui les utilisent, nos experts sont formels : les pièces de moteurs fabriquées par l’entreprise wallonne Safran Aero Boosters se retrouvent bel et bien dans les réacteurs des F-15 israéliens et notamment dans ceux utilisés récemment au-dessus de Gaza ou du Sud-Liban.

Réaction de Safran Aero Boosters

Face à ces découvertes, nous avons pris contact avec Safran Aero Boosters. L’entreprise wallonne a refusé nos demandes d’interviews mais, par écrit, elle confirme ces découvertes :  » Safran Aero Boosters, partenaire du motoriste General Electric sur le F110, livre la pièce dont il a la responsabilité à son client américain en conformité avec les réglementations export contrôle belges et américaines. « 

Contradictions wallonnes

La découverte est de taille et pour nos experts, elle va clairement à l’encontre de la position officielle adoptée par la Belgique et la Région wallonne.  » Je ne sais pas si c’est en connaissance de cause ou non, estime Leone Hadavi, spécialiste italien de l’armement. Mais si les autorités ont mis en place une interdiction en 2009 disant que plus aucun matériel militaire belge ou wallon ne serait envoyé en Israël pour soutenir l’effort de guerre israélien, on peut dire que c’est un échec. « 

Des habitants de Gaza sortent des victimes des décombres des bombardements israéliens.

La Région wallonne n’a pas grand intérêt à ouvrir la boîte de Pandore.

Yannick Quéau (GRIP)

Pour Yannick Quéau, le Directeur du Groupe de recherche et d’information pour la paix et la sécurité (GRIP), ces découvertes sont en contradiction avec la position wallonne. Il rappelle que  » des pièces de réacteurs sont des composants essentiels à un avion de combat et donc soumis à des demandes de licences « . Et pour lui, c’est très clair, la Région wallonne ne pouvait pas ne pas être au courant.  » C’est un contrat qui court depuis très longtemps. Mais si personne n’attire l’attention des autorités wallonnes spécifiquement sur l’existence de ce contrat et des risques que cela fait courir, la Région n’a pas grand intérêt à ouvrir la boîte de Pandore. « 

L’Arabie saoudite à tout prix ?

Troisième et dernier volet de cette enquête : nos experts s’intéressent cette fois aux ventes d’armes vers l’Arabie saoudite. Pendant des années, le régime saoudien a été le client numéro 1 de l’industrie wallonne de l’armement. Mais avec son implication croissante dans la guerre au Yémen depuis 2014 et l’assassinat en 2018 du journaliste et opposant saoudien Jamal Kashoggi, de plus en plus de voix s’élèvent chez nous contre les ventes d’armes à ce pays.

Finalement après plusieurs recours introduits par des ONG, le Conseil d’État suspend une partie des licences d’exportations de trois entreprises wallonnes : John Cockerill, la FN Herstal et Mecar (devenu entre-temps Nexter-KNDS). Dans la foulée, le ministre-président wallon de l’époque, Elio Di Rupo, bloque une grande partie des exportations d’armes vers ce pays.

En mars 2020, le Conseil d’État suspend des licences de 3 entreprises wallonnes vers l’Arabie saoudite.

Pourtant, ce qui va étonner nos experts, c’est que l’entreprise John Cockerill ne semble pas souffrir de cette situation. Bien au contraire. Mais ce qui a changé, c’est qu’elle le fait désormais directement sur place grâce à la création d’une  » joint-venture  » (coentreprise en français) entre John Cockerill et le Ministère saoudien de la Défense : SAMI CMI Defense Systems. Nous décidons d’en savoir plus sur les activités de cette entreprise conjointe.

Les tourelles Roaya, emblème sur Linkedin de la joint-venture créée directement en Arabie saoudite par John Cockerill.

Tourelles  » Roaya « 

Notre équipe met la main sur cette vidéo de présentation des récents projets développés sur place par l’entreprise wallonne à l’occasion du World Defense Show de Ryad en juin 2024. On y voit Simon Haye, le directeur marketing de John Cockerill faire la présentation des partenariats avec le régime saoudien.  » Nous renforçons notre présence ici pour pouvoir soutenir localement ces systèmes à l’avenir, y compris la fabrication de pièces détachées, de composants électroniques et d’autres éléments nécessaires au maintien de la flotte actuelle « , déclare-t-il.

 

Le développement et la production se déplacent vers l’Arabie saoudite grâce à la joint-venture entre John Cockerill et l’industrie militaire saoudienne.

Hans Lammerant, spécialiste des exportations d’armes en Belgique

Mais nos experts vont découvrir que les projets de John Cockerill vont bien au-delà de la maintenance du matériel précédemment envoyé sur place par l’entreprise wallonne.  » Il est évidemment question de la maintenance des véhicules existants, indique Hans Lammerant, spécialiste des exportations d’armes en Belgique. Mais on constate aussi que le développement et la production de nouveau matériel se déplacent vers l’Arabie saoudite grâce à la joint-venture créée avec l’industrie militaire saoudienne. « 

C’est par exemple le cas des nouvelles tourelles de blindés  » Roaya  » présentées comme  » le tout premier système d’armement à 100% propriété intellectuelle saoudienne « . Désormais donc, les tourelles seront produites avec John Cockerill mais directement sur place. Plus besoin donc de demander des licences d’exportation à la Région wallonne… Et de s’exposer au risque qu’elles soient refusées.

Savoir-faire et emplois wallons menacés

Cette méthode  » saoudienne  » employée par John Cockerill pose aussi d’autres questions. Ce type de montage s’inscrit certes dans la volonté de l’Arabie saoudite de développer sa propre industrie de défense à l’horizon 2030. Mais pour le directeur du GRIP, il y a un risque à terme pour le savoir-faire et les emplois wallons.  » Cette joint-venture implique de faire venir sur site des techniciens qui savent faire fonctionner ce type de technologie, avec une fuite des cerveaux en cols-bleus mais aussi en cols blancs puisque John Cockerill apporte également une aide à l’innovation pour aider les Saoudiens à développer sur place leur propre équipement. « 

C’est un problème pour la Wallonie puisque ces armes auraient dû être développées et produites chez nous.

Lahoucine Ourhibel, Secrétaire général de la CSC-Metea

Autrement dit John Cockerill ne vend plus uniquement des armes mais aussi un savoir-faire avec les risques que cela implique pour l’emploi wallon. Ce constat inquiète aussi les syndicats, comme l’explique Lahoucine Ourhibel, Secrétaire général de la CSC-Metea.  » Comme syndicaliste, on est toujours fâché quand de l’emploi est délocalisé. D’autant qu’il y a un vrai savoir-faire au niveau wallon en la matière. On parle de travailleurs qui ont très largement démontré leur « know-how » dans le domaine de la défense. Donc oui, c’est un problème pour la Wallonie puisque ces armes auraient dû être développées et produites chez nous. « 

Nous avons tenté d’interroger la direction de John Cockerill sur cette manière de faire mais l’entreprise wallonne n’a pas répondu à nos questions.

Renforcer ou assouplir le dispositif wallon ?

Les découvertes faites par notre équipe dans le cadre de cet atelier OSINT posent question. Elles montrent qu’il existe de solides failles dans le dispositif actuel. Nous avons évidemment pris contact avec les autorités wallonnes, mais elles ont refusé nos demandes d’interview.

Réaction du gouvernement wallon

Par écrit, la porte-parole du ministre-président wallon nous a adressé ces quelques lignes :  » Vu la sensibilité des dossiers que nous traitons, nous ne souhaitons pas les commenter. Que ce soit oralement ou par écrit. Nous ne ferons donc aucun commentaire. Ce qui n’est ni une confirmation ni une infirmation de vos conclusions. « 

Face à ces constats, on croirait que le gouvernement wallon serait tenté de renforcer le dispositif des licences d’exportation d’armes. Pourtant, c’est plutôt tout le contraire qui se prépare si l’on en croit les déclarations du Ministre wallon de l’Économie, Pierre-Yves Jeholet sur nos antennes en septembre 2024 :  » Il faut assumer la FN, il faut assumer John Cockerill […] On ne doit pas être plus catholique que le pape […] On va trop loin, on met trop de contraintes à notre écosystème et à nos entreprises… « 

Dans les prochains mois, le gouvernement wallon va devoir une nouvelle fois trancher entre les enjeux économiques du marché de l’armement et le respect des droits humains. Des sommes énormes sont en jeu. Des vies humaines aussi. Pourtant rien ne semble annoncer des mesures qui permettraient d’éviter les dérives dévoilées dans cette enquête.

Une enquête réalisée avec le soutien du Fonds pour le journalisme



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