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Un cadre pour évaluer les besoins non rencontrés liés à la santé

Il ne fait aucun doute qu’aider le mieux possible les personnes confrontées à la maladie est un objectif important pour tous les acteurs du secteur de la santé. Certains problèmes suscitent toutefois plus d’intérêt que d’autres, par exemple parce qu’ils concernent un grand nombre de personnes ou qu’il existe des solutions relativement simples pour y remédier. Lorsque l’innovation médicale a commencé à avancer à pas de géant, il y a quelques décennies, chercher en premier lieu des solutions aux problèmes les plus courants ou les plus simples à soigner était un choix logique aussi bien d’un point de vue économique que d’un point de vue médical et sociétal. Aujourd’hui, ces cibles « faciles » ont toutefois largement été atteintes et il faut de plus en plus d’efforts pour réaliser des avancées de plus en plus limitées. On constate que les « innovations » se concentrent aujourd’hui beaucoup sur des domaines déjà bien explorés, en particulier ceux qui concernent un grand nombre de patients ou dont les risques financiers sont relativement limités. Ces nouvelles interventions n’offrent donc souvent, au mieux, qu’une plus-value marginale pour les patients et la société, ce qui représente une utilisation peu efficiente des moyens publics et privés.

Prise de conscience européenne

Le modèle actuel, largement guidé par des considérations économiques, a donc atteint ses limites. Il est temps, pour (les représentants de) la société, de reprendre la main sur l’innovation, les investissements et plus largement la stratégie politique dans le domaine de la santé pour les diriger vers les domaines où ils pourront générer la plus-value la plus importante : ceux où il subsiste d’importants besoins au niveau des patients individuels (par exemple parce qu’il n’existe pas du tout de traitements pour leur maladie) ou au niveau de la société (par exemple parce qu’une maladie continue à toucher un très grand nombre de personnes et a des répercussions majeures en termes de productivité, d’impact sur les aidants proches, etc.).

Heureusement, on assiste aujourd’hui à une réelle prise de conscience au niveau politique, au point que les besoins non rencontrés sont l’un des grands axes du programme de la présidence belge du Conseil de l’Union européenne dans le domaine de la santé.

Un projet de grande envergure

L’initiative NEED (Needs Examination, Evaluation, and Dissemination ou « examen, évaluation et dissémination des besoins ») vise à soutenir cette transition vers une stratégie de santé et d’innovation davantage guidée par les besoins, en créant une infrastructure pour coordonner la recherche sur les besoins non rencontrés. Celle-ci alimentera une base de données européenne accessible à tous, où seront rassemblées des informations scientifiques concernant ces besoins non rencontrés des patients et de la société pour un grand nombre de maladies et problèmes de santé. Elles seront présentées d’une manière permettant d’apprécier facilement quels besoins sont rencontrés ou non et donc d’éclairer les choix des décideurs politiques et des acteurs de la santé.

Les moyens disponibles pour la recherche sur les besoins non rencontrés étant limités il faudra tout d’abord identifier les problèmes de santé pour lesquels ces besoins restent importants (par exemple sur la base d’informations en provenance de sources existantes mais aussi d’appels à propositions) et décider lesquels devraient être priorisés pour faire l’objet de recherches plus approfondies. Ensuite, il sera nécessaire de récolter des données concrètes sur les besoins non rencontrés qui subsistent pour chacun de ces problèmes de santé (à l’aide d’analyses de la littérature scientifique, d’enquêtes, etc.). Ce sont ces informations qui serviront à remplir la base de données.

À quoi va servir la nouvelle étude du KCE et de Sciensano ?

L’outil qui vient d’être développé par le KCE et Sciensano, le « cadre d’évaluation des besoins non rencontrés », est une sorte de canevas qui doit permettre de collecter les données nécessaires d’une manière scientifique, structurée et harmonisée. Pour donner une image la plus complète possible des besoins non rencontrés associés à une maladie donnée, l’équipe de recherche a identifié 23 critères, mesurés au moyen d’un ou plusieurs indicateurs (voir ci-dessous pour quelques exemples). Pour chaque indicateur, le cadre mentionne aussi quelles sont les sources d’information les plus appropriées : la littérature scientifique, l’avis d’experts, des enquêtes ou des entretiens individuels avec des patients…

Il est important de souligner que ces critères et indicateurs recouvrent les besoins des patients, mais aussi ceux de la société et enfin les besoins que l’on peut anticiper pour le futur. Ils visent aussi très large, puisqu’ils s’intéressent aux répercussions à la fois directes et indirectes de la maladie au travers de son impact sur la santé individuelle et collective, des besoins de soins et services de santé qu’elle engendre et de ses implications sociales (comme par exemple son impact sur les relations interpersonnelles, les études, le travail ou les revenus, l’impact environnemental de son traitement, etc.). Les besoins médicaux ou thérapeutiques ne représentent donc qu’une facette parmi d’autres des besoins liés à la santé. Le cadre d’évaluation évalue les besoins non rencontrés liés à la santé dans leur contexte actuel, compte tenu de l’offre existante de soins et de services.

Quelques exemples de critères avec leurs indicateurs

Critère : impact de la maladie sur la santé physique des patients

Indicateurs :

  • Pénibilité ressentie des symptômes physiques
  • Survenue ou aggravation de douleurs 

Critère : impact sur l’éducation

Indicateur : nombre d’années d’études perdues à cause de la maladie

Critère : impact environnemental du traitement standard

Indicateurs 

  • Empreinte carbone associées au traitement
  • Déchets dangereux générés par le traitement
  • Utilisation de ressources naturelles et de matières premières associée au traitement

Un outil prometteur

En théorie, le cadre d’évaluation NEED est conçu pour l’évaluation des besoins non rencontrés associés à n’importe quel problème de santé. L’équipe de recherche l’a testé à titre expérimental sur deux pathologies, la maladie de Crohn (maladie inflammatoire chronique de l’intestin) et le mélanome malin (cancer de la peau). Une étude supplémentaire a confirmé qu’il peut également être utilisé dans le contexte particulier des maladies rares, à condition de prendre en compte certains points d’attention. L’expérience future permettra d’affiner l’outil avec le temps.

Cette belle initiative et la philosophie qui la sous-tend parviendront-elles à séduire tous les acteurs impliqués au niveau belge ou européen dans la politique de santé et l’innovation ? Le projet suscite en tout cas beaucoup d’enthousiasme, puisque 16 États-membres de l’Union européenne lui ont déjà exprimé leur soutien explicite. Le thème des besoins non rencontrés fera aussi l’objet, mi-avril, d’une conférence européenne organisée dans le cadre de la Présidence belge du Conseil de l’Union européenne. Reste à espérer que des moyens suffisants seront dégagés pour rendre possible des recherches scientifiques approfondies sur un maximum de pathologies.

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