Exclusion : c’est l’interprétation que Dombrovskis Valdis, vice-président exécutif de la Commission européenne, a faite de l’horrible massacre de la Pentecôte au Nigeria pour condamner « cette attaque et cette violence sous toutes ses formes, quelle que soit la foi, la religion ».
Entretien avec « Tempi »
Des slogans qui une fois de plus ne sont pas suivis de faits, Carlo Fidanza, député européen Fratelli d’Italia-ECR au Parlement européen et coprésident, avec Peter Van Dalen du PPE de l’Intergroupe Liberté de religion, explique à Tempi :
« Au contraire, dans le débat que nous avons demandé et obtenu lors de la dernière session plénière à Strasbourg, qui s’est déroulée de nuit strictement à l’abri des caméras, le vice-président de la Commission européenne Dombrovskis a embrassé une ligne négationniste assez répandue dans les milieux laïques. Selon cette compréhension, les causes des massacres sans fin de chrétiens au Nigéria peuvent être attribuées à des problèmes locaux, des conflits territoriaux, des inégalités sociales. Ils auraient peu ou rien à voir avec le facteur religieux. Il m’a semblé juste de répéter que malheureusement ce n’est pas le cas, que la grande majorité – tout comme les victimes innocentes de la Pentecôte – sont tuées parce qu’elles sont chrétiennes et parce que leur être chrétien se traduit par une présence marquée par un modèle social et économique qui vise à la mise en valeur de ces terres et non à leur déprédation. C’est pourquoi les chrétiens là-bas sont gênants. Mais si nous refusons d’ouvrir les yeux et, en même temps, ne reconnaissons pas que le génocide des chrétiens nous concerne parce qu’il touche à cette croix même qui a forgé la civilisation européenne, il est clair qu’il ne pourra jamais y avoir de réaction.
Le 19 mai, à la suite de l’assassinat de l’étudiante chrétienne Deborah Yakubu, lapidée et brûlée vive, et des agressions contre des églises, le Parlement européen a décidé de rejeter (244 députés contre, 231 pour) l’appel à un débat sur les massacres de chrétiens au Nigeria. Quelques heures plus tôt, Shagufta Kauser et Shafqat Emmanuel, un couple marié pakistanais condamné à mort pour blasphème, s’étaient adressés au Parlement européen.
Que pouvez-vous nous dire de ce témoignage et quel était son objectif ?
Ce vote a été une honte, c’est pourquoi dès que nous avons reçu la tragique nouvelle concernant Owo, nous avons immédiatement soumis à nouveau une demande similaire. Et cette fois, face à 50 victimes innocentes, ils ont eu le bon cœur de ne pas s’y opposer. Mais ils ne voulaient pas que nous votions sur une motion, et après tout, lors du vote d’une résolution spécifique sur la persécution religieuse, la même majorité avait supprimé du texte toute référence aux chrétiens et à leurs bourreaux. Comme pour dire : oui, beaucoup meurent, mais nous sommes incapables de dire qui ils sont ni qui les tue. Ecouter les témoignages des deux époux pakistanais sauvés de la peine de mort pour blasphème grâce aussi au travail de l’Intergroupe parlementaire pour la liberté religieuse, que j’ai l’honneur de coprésider, aurait fait beaucoup de bien à cette majorité de Chrétienphobes. Grâce à leurs voix, nous avons compris au mieux l’entêtement des lois anti-blasphème qui deviennent des outils de vendettas personnelles. Nous parlons d’immenses nations, dans le cas du Nigéria une nation riche, dans le cas du Pakistan une puissance nucléaire. Il est également essentiel de comprendre comment aider les communautés sur le plan juridique.
5 898, c’est le nombre de chrétiens tués l’an dernier, 16 par jour. 5 110 sont les églises attaquées ou détruites. 6 175 chrétiens arrêtés et emprisonnés sans jugement, 3 829 kidnappés. Au total, le nombre de chrétiens qui ont subi des persécutions, des embuscades, des massacres et des enlèvements en 2021 en raison de leur foi est d’environ 360 millions. Tous ces chiffres sont en hausse. Et l’endroit où le plus de chrétiens sont tués dans le monde, c’est le Nigeria.
Quelle place la protection de la liberté religieuse occupe-t-elle dans l’agenda du Parlement européen ?
En tant qu’intergroupe, nous faisons de notre mieux pour garder l’attention mais, malgré nos efforts, nous ne parvenons pas à attirer des membres actifs de groupes de gauche. Les quelques personnes sensibles à la question sont dans une position de subordination culturelle au sein de leurs groupes respectifs. Cela conduit à des difficultés même pour organiser un débat consciencieux après un massacre. Et en revanche ce n’est pas mieux au niveau de la Commission européenne qui, depuis des mois, a dû nommer le nouvel envoyé spécial pour la liberté religieuse mais, malgré nos appels répétés, ne l’a toujours pas fait. Même le gouvernement italien a réussi à y arriver le premier, qui, dans d’autres affaires occupées, a trouvé le temps de nommer le conseiller diplomatique Andrea Benzo comme nouvel envoyé pour l’Italie.
Au Nigeria, le pays le plus peuplé d’Afrique, où les chrétiens représentent un peu plus de 50 % de la population, les fidèles se retrouvent pris dans une emprise mortelle formée par les terroristes islamiques Boko Haram et Iswap d’un côté et les bergers musulmans peuls de l’autre. Et malgré la montée en flèche de la violence, les États-Unis de Joe Biden ont inexplicablement décidé de rayer le Nigeria de la liste des pays préoccupants du point de vue de la liberté religieuse.
Quelle est l’approche européenne et comment intervient-elle, de quelle manière et combien de ressources arrivent de l’Europe à Buhari ?
Le choix de l’administration Biden était une erreur retentissante. Les données que nous avons publiées dans le rapport périodique sur la liberté religieuse de notre intergroupe, recueillies grâce au travail des principales ONG d’inspiration chrétienne, nous disent que le Nigeria est l’un des pays où la situation s’est le plus détériorée ces dernières années. Aux milices islamistes affiliées à Daech et à Al-Qaïda se sont ajoutées des tribus d’éleveurs peuls, également musulmans, qui descendent vers le sud, tentant d’éradiquer la présence chrétienne, détruisant leur identité religieuse et s’appropriant ces terres. Comme on le sait, l’UE a une politique étrangère faible et n’a qu’un seul outil à sa disposition, l’outil économique et financier. Il est difficile de chiffrer combien d’argent nous donnons chaque année au Nigeria à travers divers projets de coopération, et c’est pourquoi je vais déposer une question urgente pour connaître le montant réel, qui devrait de toute façon se chiffrer en centaines de millions d’euros. Ça y est, il est temps de conditionner chaque euro donné par l’UE au Nigeria à l’engagement concret du gouvernement Buhari à contrer ces gangs et à garantir la liberté religieuse et la sécurité, en premier lieu aux communautés chrétiennes.
Dans la seule Europe des « droits », la liberté religieuse est-elle un problème ?
L’UE poursuit un programme de « droits » très insistant, ce qui m’amène à penser que désormais chaque licence et préférence personnelle devient un droit socialement reconnu en soi. Pourtant, lorsque l’on parle de liberté religieuse, c’est-à-dire de droit humain fondamental reconnu comme tel par les conventions internationales, un réflexe idéologique s’enclenche, qui repose pourtant sur un postulat erroné. Certes, en tant que catholique, je me sens personnellement plus proche de mes coreligionnaires, mais défendre la liberté religieuse, c’est défendre le droit de chaque communauté et de chaque individu de croire mais aussi de ne pas croire, et de ne pas être discriminé ou persécuté à cause de cela. Dire que les chrétiens sont de loin les plus persécutés, ce n’est pas adopter une vision confessionnelle ; Dire que parmi les responsables de ces persécutions, la plupart sont des musulmans ou que l’antisémitisme sévit dans les communautés musulmanes en Europe, ce n’est pas être islamophobe. Parce que sous d’autres latitudes, il y a des minorités de musulmans persécutés par d’autres musulmans. C’est simplement la réalité tragique, qu’il faut affronter pour ce qu’elle est, appeler les choses par leurs noms propres pour les traiter. Le reste, c’est annuler la culture qui prétend reléguer la foi à une affaire privée, éliminant sa dimension de témoignage public. Un mal auquel on ne peut se résigner.